Vu aux Pays-Bas
Agrifirm face à la crise de l’azote
par Christophe Dequidtil y a 2 ans5 min de lecture
Agrifirm, leader néerlandais de l'alimentation animale, produit 6 Mt d'aliments par an dans le monde entier.
Dans un contexte houleux, Agrifirm, coopérative d’approvisionnement néerlandaise développant une activité à l’international, a peu de choix : évoluer ou mourir.
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« Les Pays-Bas, aujourd’hui, c’est un volcan prêt à entrer en éruption », se désole Maritza Van Assen, ancienne directrice de Nefyto, organisme de lobby agricole néerlandais. Une colère provoquée par l’annonce de la ministre de la Nature et de la Politique de l’azote, Christianne van der Wal, en juin 2022, de réduire les émissions d’azote de 50 % d’ici 2030. « Pour y arriver, le gouvernement envisage de diminuer, de gré ou de force, d’un tiers le nombre d’animaux d’élevage, précise Maritza Van Assen. D’après les estimations, cela pourrait toucher près de 11 000 fermes sur les 53 000 que compte le pays. Le gouvernement a provisionné 24,3 Mds€ pour indemniser les agriculteurs. Dans un pays aux profondes racines agricoles, c’est une véritable révolution. » Dans ce contexte, Agrifirm, la principale coopérative d’approvisionnement, leader en alimentation animale, se doit de réagir.
Outre une restructuration sociale et industrielle interne, elle doit montrer la voie de la distribution et de l’agriculture néerlandaises et apporter la preuve du bien-fondé de sa stratégie et de ses pratiques. « Étant au cœur d’une production contestée par les élites, nous sommes très surveillés dans nos développements et nos innovations, confie Joris Roskam, directeur appro. Avec les agriculteurs, membres du conseil d’administration, nous avons défini six axes majeurs qui, en qualité de leader, sont devenus une norme nationale : revenu durable, sol sain, meilleure efficacité des intrants, chaîne alimentaire transparente, santé animale, production respectueuse du climat. Cela se traduit par des objectifs très clairs, par exemple que plus de 15 % de la marge brute de nos adhérents soit faite à base d’énergies renouvelables en 2024, atteindre 100 % de matières premières produites durablement en 2030 ou avoir une empreinte climatique négative en 2035. » Des ambitions que l’encadrement d’Agrifirm doit respecter car ils ont été validés par les pouvoirs publics. « C’est une question de crédibilité face à l’opinion que de les respecter. »
« Nos développements et innovations sont très surveillés »
L’innovation passe aussi par un travail au quotidien. « Nous avons créé ce que nous appelons des corridors, où nous cherchons des partenariats nationaux avec les universités, les laboratoires de recherche publics et privés, nationaux comme internationaux, et avec des entreprises qui nous ressemblent, dans les pays où nous sommes implantés. » Des recherches sont menées sur les protéines, la biomasse, l’agriculture circulaire, le digital…
Le nouveau challenge a été inscrit dans la charte. « Agrifirm cherche une solution globale durable axée sur les objectifs des producteurs et les demandes des consommateurs : de bons produits, des conseils étayés et des outils numériques pour aider les producteurs à tirer le meilleur parti de leurs cultures, du semis à l’industrie. Nous utilisons les données pour mesurer et améliorer continuellement les résultats. » Très pragmatique, Agrifirm a créé son propre indice environnemental. « Nous pensions être les mieux placés pour le faire, dit en souriant Joris Roskam. Le ministère nous tanne pour récupérer les data des agriculteurs afin de vérifier les résultats de notre indice, reconnu aujourd’hui par l’ensemble des partenaires de la chaîne alimentaire, Heineken, Aldi, Friesland Campina, Vion, Kipster… Mais nous ne sommes pas enclins à leur fournir car ce sont des données confidentielles privées, propriétés de chaque agriculteur. »
La séparation en embuscade
La séparation du produit du service, la coalition gouvernementale actuelle en a fait une promesse de campagne. Le parlement a envoyé une lettre dans ce sens fin 2022 au ministère de l’Agriculture qui a dû réagir. « Si nous sommes d’accord sur les objectifs affichés par les politiques, nous en contestons la méthode. Après avoir étudié l’exemple français, notre lobbyiste a fait un travail remarquable pour montrer les limites du système et à quel point ce type de démarche mettait en péril notre métier et l’agriculture en général. Il a réussi à faire valoir qu’il fallait nous faire confiance. Par exemple, pour les antibiotiques chez les animaux, le pays a baissé de 70 % leur utilisation sous notre impulsion. Nous ferons de même pour les intrants végétaux. » Agrifirm constate avec satisfaction que le projet est pour l’instant resté en « stand-by », mais elle se sait sous haute surveillance.